Précision : Je considère avoir été anorexique à 13 ans et 17 ans. Entre deux, je n'ai jamais mangé correctement. Ici, je raconte une partie de mon anorexie lors de mes 17 ans. J'essaierai d'en expliquer les raisons plus loin. A présent, je n'ai plus aucun problème d'alimentation même si j'ai encore des soucis avec mon corps.


Se coucher tard. Se lever tôt. Objectif : Perdre un maximum de calories.
Tu ne penses plus qu'à ça. Tu ne vis plus que pour ça. Pourtant, tu n'avais aucun excès de poids. Tu étais juste dans la norme. Tu détestes ce mot. Tu détestes qu'on puisse te rentrer dans cette catégorie. Tu veux être différente. Tu veux être belle. Tu ne veux pas être comme tout le monde. Tu veux être + que les autres. Tu veux quelque chose que tu n'auras jamais. Ton corps est impuissant face au monde. Tu te détestes. Tu décides de t'en prendre à ton corps. Ton corps est un fardeau. Il doit payer.

Tu te lèves le matin. Tu ressens déjà des vertiges. Tu vis dans une autre dimension. Tu aimes ça. Tu dois entretenir ce phénomène et en faire de + en + pour ressentir cet effet. Tu es droguées et tu ne t'en rends pas compte. Tu te diriges vers ton armoire. Que vas tu mettre aujourd'hui ? taille 34 ou 40. Tu as le choix. Aujourd'hui, tu restes chez toi. Tu mets juste un jogging pour masquer à ta famille ta maigreur. Pas de temps à perdre.

Tu te diriges vers la cuisine. Non, tu ne mangeras rien. Tu te diriges juste dans une armoire pour prendre du film. Tu en mets tout autour de ton ventre. Tu dois perdre un maximum de graisse. A présent, tu peux enfin te retrouver isoler dans la cave. Non, tu ne feras pas de sport à l'extérieur. Non, tu ne veux pas sortir. Tu ne veux pas être vue. Tu as honte de toi. Tu as honte de ton corps. Tu n'arrives même pas a comprendre comment tu peux continuer de vivre avec ce dernier. Tu ne veux pas qu'on est pitié de toi. Tu vis cacher.

Dans la cave, tu ressens toujours une certaine peur. La peur d'être vue. Tu ne peux rien y faire. Tu dois vivre avec cette inquiétude et te faire une raison. Tu commences a enfiler une combinaison. Non, nous ne sommes pas en hiver mais bel et bien en été. Oui, les autres adolescents s'amusent et sortent entre eux. Tu n'es pas comme eux. Tu en es tout simplement incapable. Tu as laissé tomber tes semblants d'amis. Tu ne peux pas faire autrement.

Tu commences à courir le plus rapidement possible sur ton tapis de course. Tu vois défiler le nombre de km et de calories perdues. Tu vois défiler un ensemble d'images que tu ne supportes pas. Tu vois défiler en toi toute cette rage envers la société et toi même. Tu continueras à l'excès jusqu'à temps de ne plus ressentir tes jambes. Tu te fixeras des objectifs de plus en plus durs. Tu dois maigrir le plus rapidement possible. Tu dois faire passer un message à travers ton corps. Oui. Ta souffrance exprimée à travers ton corps montre ton mal être dont ils sont responsables. Eux : Ta famille. La société. Le monde dans lequel tu vis. Tu rejettes ton mal être sur eux.

Tu ne peux plus courir. Tu ne sens plus tes jambes. Tu te dois d'arrêter. Juste une courte pause. Tu t'en veux d'être déjà fatiguée. Tu t'insultes. Tu te dis que tu n'es vraiment une moins que rien. Tu dois aller plus loin. Tu veux te prouver que ton corps n'aura pas le dernier mot. Ton esprit est plus fort. Personne ne pourra l'atteindre. Tu veux prouver aussi à l'ensemble de la société que tu peux le faire. Non, tu n'es plus la petite fille gourmande qui aime manger et rires. Non, tu ne veux plus être cette petite avec des bonnes joues. Non, tu n'es pas une fille sans volonté. Non, tu n'es pas comme toutes ces filles qui souhaitent maigrir sans y arriver. Tu es plus forte qu'elles. Tu n'as pas besoin de manger. D'ailleurs, tu ne veux plus ressentir aucun besoin. Aucun désir. Tu ne veux plus rien venant de l'extérieur. Absolument Rien.

Tu te relèves. Tu recommences à courir avec une hargne de + en + présente. Tu commences à voir le sac de sport de ton père. Tu te mets à frapper de toute tes forces dessus. Tu ressens un certain bien être à frapper sur ce sac. D'ailleurs, Tu t'imagines souvent à la place de ce sac. Ca t'aide à taper encore plus fort. Tu as besoin de ressortir toute ta haine au fond de toi. Tu dois lui faire du mal. Tu dois te faire du mal. Tu imagines aussi d'autres membres de ton entourage. Amour/Haine.

A ce moment là, tu vois aussi des images de famine, des images de guerre que tu ne supportes pas. Là. A l'intérieur de toi. Tu es impuissante. Tu n'as aucun moyen pour les aider. Tu es comme le reste de la société. Tu ne fais rien concrètement pour eux. Tu es une moins que rien. Tu ne dois pas être heureuse si tu ne peux pas faire le bien. Tu en as aucun droit. Pas + que les autres qui sont en train de crever de faim. Tu ressens une partie de leur souffrance. Les gens pourront lire la mort sur ton corps. Tu feras passer un message qui le veuille ou non. Tu ne sais pas exprimer ta souffrance par des mots. Tu as trouvée ta seule expression : Ton corps.

Tu ne ressens plus aucune force en toi. Tu remontes. Tu vois ton frère se lever prendre son petit déjeuner. Tu lui souris. Tout va bien. Il ne doit se douter de rien. Tu ne laisses pas paraître que tu ne sens plus tes jambes. Tu ne dois pas laisser paraître ta faiblesse. Tu t'autorises un verre de jus de fruits. Au fond de toi, tu ressens un profond plaisir de pouvoir enfin boire quelque chose. Toutefois, une autre partie de toi s'en veut. Le processus est en route. L'anorexie est en place. Tu te doutes de rien. Tu penses avoir le dessus sur ton corps. Tu penses que ton esprit gagne. Tu ne t'aperçois pas que c'est l'anorexie qui est en train de prendre place en toi.

Tu te diriges vers la salle de bain. Tu te déshabilles. Tu essaies de faire abstraction de ta nudité. A présent, tu considères ton corps comme un objet. Tu te pèses. Tu te dis que ce n'est pas suffisant. Tu dois encore maigrir. Le plus rapidement possible. Tu commences à te regarder dans une glace. Tu as envie de briser ce miroir. En réalité, c'est toi que tu veux briser. C'est toi que tu veux détruire et voir disparaître de ce tableau pathétique. Oui. Tu détestes l'image qu'elle te renvoie. D'ailleurs, tu n'as pas l'impression que c'est toi. Tu as juste l'impression de jouer un rôle d'observatrice. Tu ne veux pas avoir de corps. Tu le refuses. Tu ne veux être qu'un esprit. Tu commences à examiner ce corps. Tu l'insultes. Tu l'auscultes. Tu le frappes.
Tu n'as pas de seins. Tu n'as pas de formes. Sauf ton ventre qui prend toute la place. Tu le frappes. Tu ne fais pas attention à tes jambes. Tu ne supportes pas ton visage. Tu es répugnante. Tout doit disparaître.

Tu t'en veux. Tu es superficielle. Tu apportes bien trop d'importance à ton corps. De quel droit ? Tu n'as pas de temps à perdre. Tu devrais plutôt faire quelque chose pour toutes ces personnes qui souffrent dans ce monde. Pourtant, une autre voix te dit que tu fais tout ça en partie pour eux. Tu n'es sûres de rien. Si. Une seule chose est sûre : tu veux oublier ta vie.

Tu touches ce corps. Tu sens la graisse et tu détestes ça. Les larmes coulent sur tes joues. Tu es immonde. Tu n'es qu'un tas de graisse (En réalité, tu es bien trop maigre. Ton IMC montre que tu as des grands risques de santé et que tu devrais déjà être à l'hôpital). Tu ne mérites pas de vivre. Pourtant, malgré la graisse que tu vois apparaître, tu ressens aussi tes os à certains endroits de ton corps. Tu aimes ça. Tu arrives à tes fins. Ce n'est pas encore suffisant mais tu es sur la bonne voie.

Enfin, tu te retrouves sous la douche. Tu ne veux pas te l'avouer mais tu aimes profondément sentir l'eau sur ton corps. En fait, tu ne veux pas t'avouer que tu peux éprouver un quelconque plaisir venant de l'extérieur. Tu passes un maximum de temps sous l'eau. Tu ne sais pas si tu es en train de laver ton corps. Ton corps ou l'impureté de ton esprit ?
Tu veux être pur. Tu es en train de te laver de tes péchés. Tu ne veux plus être humaine.

Tu sors enfin de la salle de bain. Tu rejoins ton jardin. Personne ne t'y vois. Tu feras encore du sport. Tu es toujours seule. Pour tout. Tu retournes prendre une douche. Tu as peur de la saleté, de la transpiration etc...Tu attends qu'il commence à faire sombre. Tu peux enfin t'autoriser à sortir dehors. Ta mère vient de rentrer. Tu n'arrives plus à vivre avec ta famille. Tu t'autorises à sortir : direction le cinéma. Tu écoutes de la musique. Tu te ballades toujours avec ton walkman. Tu veux rester dans ton monde. Tu ne veux pas avoir à faire aux gens dans la rue. Tu baisses les yeux. Tu ne veux pas que quelqu'un vienne crever ta bulle.

Dans la rue, des idées sombres te traversent l'esprit. Tu te lances des défis. Tu dois continuer tout droit sans t'arrêter même si le feu passe au vert. Dans le métro, tes idées sombres te poursuivent « Saute sur la voie et tout sera finie». Toutefois, tu rejoins enfin les salles obscures. Tu rejoins un autre type d'univers que tu aimes tant. Tu vis à travers cet écran. Tu t'inventes une vie qui n'existe pas. Malgré tout, tu ne peux toujours pas faire abstraction de la nourriture. Tu y penses tout le temps comme une obsession. Partout.

Tu rentres chez toi. Ta mère te dit que le dîner va bientôt être prêt. Tu lui expliques que tu as envie de faire du vélo avant d'aller à table. Tu rajoutes qu'ils ne t'attendent pas : « Manger sans moi. Je mangerais plus tard. Je n'ai pas faim pour le moment ». Tu mens. Tu meures de faim. Ce que tu ne dis pas c'est que tu y prends un certain plaisir.

Le vélo se trouve dans la cave. Tu fais un effort pour le sortir. Tu ne sens plus tes bras. Pourtant, la course poursuite contre les graisses continuent. Tu recommences à voir défiler à l'intérieur de toi tout un ensemble d'images insupportables. Toutefois, ces images te permettent d'avoir la force de continuer ton autodestruction. Tu continues de pédaler jusqu'à temps de ne plus sentir tes jambes. Tu vérifies l'heure. Il ne faut pas que tes parents et tes frères soient encore à table.

Une fois rentrée, tu dois remettre ton vélo à la cave. Tu ne le dis pas mais tu as peur. Peur de ne pas y arriver. Tu ne marches plus droit. Tu vois trouble. Tu prends le vélo et machinalement tu descends jusqu'à la cave. Tu as l'impression que ce qui reste de ton corps va s'écrouler d'une minute à l'autre. Tu fais tout pour te convaincre que tu peux le faire. Ca y est. Tu as réussie. Tu ressens une certaine fierté. Tu remontes et t'allonges sur le canapé. Epuisée. Tu n'es plus qu'un déchet. Pourtant, tu es persuadée d'être plus forte que la normale. Tu oublies tes besoins vitaux. Tu veux être au-dessus de tout. Tu arrives à te convaincre que tu fais tout ça pour ton bien.