• Je prends racine / Claire Castillon

    "Je me souviens d'un grand arbre du jardin public, que la mairie avait fait couper parce que, disaient-ils, il y avait des risques de chute. Je ne les croyais pas. J'étais allée regarder le massacre, les gens autour de moi pointaient leur pouce vers le bas, si fiers du triomphe de leur opinion. Ils en avaient usé, de l'encre et du papier, en pétitions, en signatures. Allez savoir ce qui fait soudain détester un arbre. J'étais allée lui faire un câlin la veille du drame. Tout en lui jurant de le défendre jusqu'au bout, tu vas voir ce qu'on va leur faire, je pleurais toutes les larmes de mon corps, frottant ma joue contre son tronc, espérant qu'il me laisse son empreinte. J'avais imploré son pardon et détaché de son tronc un petit morceau d'écorce. Je participais au massacre, lui décollant un carré de chair, contre laquelle, tout à l'heure, peut-être la scie électrique viendrait apposer sa morsure. J'ai quitté le jardin en lui faisant un signe de la main. J'avais tellement mal à lui, que j'ai vomi dans le caniveau. Une mère qui passait par là a supplier son enfant de ne pas me regarder, sinon il risquait de vomir aussi. Je me suis demandé si en voyant l'arbre il allait pleurer, ou si elle lui conseillerait de détourner les yeux.

    Dans ce dédale de tours, la nature est inerte. Quelques fleurs, au plus, plantées dans les jarres en béton, émaillent le gris de tout le reste. Des plantes vertes en plastique poussent dans le hall des tours, on est sûr qu'elles ne feront de mal à personne."

    Claire Castillon.

    Photo : Provenant du film "Virgin Suicides".


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